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Requiem pour mon petit chat Dolce

Dernière mise à jour : 27 juil. 2020

14 janvier 2020


Aujourd’hui, le 14 janvier j’ai dû faire euthanasier mon chat Dolce, celui qui m’a accompagnée dans certaines interviews visibles sur ma chaîne Youtube, mon chat noir et blanc, mon premier petit chat. Il avait 16 ans, et ce qui le caractérisait le plus était sa fidélité. Loyal, possessif, fusionnel et casanier, comme un taureau du mois d’avril.

Il fallait savoir s’il souffrait, et cela rendait indécis.


Oui, assurément les reins avaient cessé de fonctionner et il fallait le piquer tous les jours pour le réhydrater et injecter environ 300 ml, dans 2,5 kilos de chair.


Il ne voulait plus, et j’ai senti que je ne pouvais pas le laisser souffrir.


J’ai surtout senti qu’il ne voulait plus.


Je suis de principe contre l’euthanasie, contre ce pouvoir de vie et de mort que nous nous octroyons nous, humains, sur d’autres êtres vivants.


Mais ceci est le principe général, et à tout principe ses exceptions, il est difficile de juger tant que l’on n’est pas confronté à la situation.


Puis lorsque la vétérinaire de la famille est venue, nous avons en vain cherché des veines pour le piquer.


Il n’y en avait quasiment plus, il a fallu passer par une injection directement au cœur.


Avec Dolce c’est aussi ma jeunesse qui s’en va.


16 ans de vie commune, c’est beaucoup, il m’avait suivie partout, de Paris à Marseille, puis dans le Var et en Amérique du Sud. Il avait passé des mois de retraite en Corse avec moi.


Il avait accepté, non sans difficulté, de me partager, avec d’autres humains, et avec d’autres animaux, autres chiens et autres chats.


Puis il avait acquis en maturité et sagesse, du moment que personne ne venait l’embêter dans sa tranquillité, il était bien.


D’une grande fidélité, il a toujours été là lorsque j’ai pu être malade ou accidentée, ou encore quand j’ai pu vivre des chagrins.


Sur moi, contre moi, collé à moi. Mon confident de 16 ans.


Possessif, il n’a jamais vraiment supporté que j’aille travailler et que je sorte de la maison.


Je me souviens par exemple du jour où il avait uriné dans mon sac sans que je m’en aperçoive, sinon à l’heure de sortir le stylo devant tout le groupe que je devais superviser !


Il n’a jamais supporté vraiment les animaux agités.


Et certains êtres humains.


Il avait ses têtes.


Sur terre tout a un début et une fin.


C’est le cycle de chaque être vivant.


C’est le cycle d’une plante, d’une fleur, d’un arbre, d’un oiseau, d’un chat, d’un être humain. Et cela m’a fait réfléchir aujourd’hui, la mort de ce petit Dolce dans mes bras.


A ce que Freud appelait le deuil pathologique.


A ce que Racamier avait identifié comme origine des pathologies narcissiques : l’incapacité à faire son deuil, à perdre.


Et puis de façon plus large, cela m’a fait réfléchir à l’expérience humaine, et à ce que viennent nous enseigner aussi nos animaux de compagnie.


Nous naissons et nous grandissons en créant des attachements affectifs.


C’est vital sur le plan psychique.


Puis, au fur et à mesure des années qui passent, nous devons apprendre à perdre ce que nous avons construit, à renoncer à des liens que nous avions pu croire indéfectibles, qu’ils aient existé en amour ou en amitié, et que ce renoncement soit le fruit de ruptures, de prises de distances, d’accidents ou de maladies, de décès.


C’est étrange, tout de même, une existence humaine où nous apprenons à construire et à créer dans la matière, puis à nous délier de ces attachements terrestres.


Où l’on apprend tout à la fois à agir, mais où le fruit de l’action est voué à l’éphémère.


Et pourtant, qui se laisse happer dans la pure immédiateté et l’instant annule l’humanité, laquelle s’organise dans le désir d’immortalité, non pas de chair, mais d’Esprit.


Achille ira à Troie car il sait que les hommes conserveront la mémoire de ses hauts faits.


Nous devons accepter l’état de corruption de la matière et l’immortalité de l’Esprit.


C’est sans doute ce que nous venons apprendre.


C’est l’inverse des délires actuels : immortalité de la chair, et corruption de l’Esprit.


Apprendre à perdre.


Apprendre à créer une séparation entre soi et les autres dans l’espace-temps terrestre.


Sommes-nous davantage prêts à – ou désireux de – mourir lorsqu’il y a déjà eu beaucoup de pertes surmontées ?


Lorsqu’il ne nous reste plus beaucoup de liens à perdre, car les amis, les membres de la famille, sont déjà morts ?


L’humanité ne cesse de se battre contre cette corruptibilité de la matière, d’essayer de la faire durer, d’étirer l’instant et de figer l’éphémère, c’est sans doute la fonction première de l’art. De sublimer l’instant, le regard, l’attachement, pour le faire durer dans le temps.


Il nous faut accepter la mort.


Comme un moment indispensable à notre élévation personnelle.


Ne pas s’illusionner sur le fait que les morts ne sont pas morts, que la séparation entre les morts et les vivants serait factice : ceci est du ressort de la pathologie.


On ne communique pas avec les morts. Ils sont partis, loin, dans une autre dimension.


C’est le principe même de la mort.


Le nier c’est cela, le deuil pathologique, dont on peut entendre l’étendue du chagrin, mais qui crée des dégâts terribles, et sur lequel s’enracine la contagion délirante de la paranoïa, celle des sectes et des idéologies totalitaires.


Confondre l’espace des morts et des vivants, c’est humainement très grave.


En revanche vivants sont notre mémoire, les souvenirs de la présence, la façon dont l’autre nous a façonnés par sa dimension singulière.


Et seul le récit est capable d’immortaliser, par la biographie, la littérature et la narration historique, ce qu’était celui qui est mort, et dont nous devons témoigner.


Qui ignore la fin nie le début.


Qui dénie la mort n’honore pas la naissance.


Merci Dolce de m’avoir enseigné cette fidélité à toute épreuve, pour ta tendre compagnie dans l’ineffable durant ces années.


Merci de m’avoir aujourd’hui permis d’accepter, à travers ta mort, le deuil de cette jeunesse, de me l’avoir immortalisée dans le même temps au creux de mes souvenirs.


Je garderai la trace de ta présence, l’empreinte de tes ronronnements et mes rires sur tes bêtises.


J’honore le voyage de ton âme vers d’autres cieux, puisses-tu reposer en paix, et considérer avoir bien vécu.


La mort contient cet étrange mystère de ce qu’elle fait disparaître l’être, et non les sentiments qui nous lient à lui.


Requiescat in pace petit chat.


Ariane Bilheran, psychologue clinicienne, docteur en psychopathologie, auteur de livres en psychologie, littérature, philosophie.


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