La fabrique des harceleurs
- 19 août 2009
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 avr.
Focus sur le harcèlement moral au travail, une pathologie collective, partie III
Entretien par Sylviane Lauro au sujet de "la fabrique des harceleurs" publié depuis Overblog
Sylviane LAURO:
Vous dites je cite: «qu’un harceleur se fabrique» sous forme de «formatage identitaire». Peut-on assimiler ce processus à celui des dérives sectaires? Ensuite, peut-on «défabriquer» un harceleur ainsi que le groupe qui cautionne ses agissements (ou qui devient à son tour harcelant)?
Ariane BILHERAN:
Oui, c’est un processus strictement identique sur le plan psychologique. Et je suis persuadée que l’on peut «défabriquer» un harceleur et son groupe, mais il faut s’en donner les moyens. Or, dans la société du «tout tout de suite», l’on exige une efficacité brève et l’on condamne par exemple trop rapidement les thérapies longues. Mais, un peu de bon sens tout de même! Comment peut-on modifier tout le fonctionnement psychique d’une personne, sur lequel elle s’est toujours structurée, en trois mois? L’un des vecteurs pour aider ces personnes malgré tout très vulnérables (il faut entendre que le harceleur est quelqu’un de très vulnérable psychologiquement, même s’il paraît tout le contraire à son entourage) est une thérapie orientée sur la prise de conscience de sa propre affectivité et de son lourd vécu traumatique.
Ceci étant, je crois aussi que certaines personnes ont été beaucoup trop abîmées par la vie qu’il est très difficile de les aider à sortir psychologiquement de ce qui les hante. En tous les cas, à mon sens, nous ne nous sommes vraiment jamais donné les moyens pour une prévention efficace, qui nécessiterait une intense remise en question de notre fonctionnement social et une sortie du déni auxquels manifestement nous ne sommes pas encore prêts. Il en est de même pour l’idéologie de la réinsertion des anciens détenus: les moyens mis en œuvre ne sont pas à la hauteur de l’objectif, et l’on déshumanise toujours un peu plus. Peut-être que la déshumanisation permet-elle un meilleur comportement à l’égard d’autrui? Pour moi, c’est complètement illogique. Or la protection ultérieure du lien social en dépend, et ce n’est pas rien ! Là encore, c’est une question d’autorité, car cela implique de concevoir le long terme, de bâtir les jalons d’un futur sur lequel nous éprouvons beaucoup de difficulté à miser.
Sylviane LAURO:
Comment expliquez-vous cette omnipotence des agresseurs qui agissent en toute impunité, comme étant au-dessus des lois, alors que très souvent les hiérarchies sont au courant, voire cautionnent ces comportements?
Ariane BILHERAN:
Eh bien, justement, ces agresseurs agissent en toute impunité parce que les hiérarchies encouragent, passivement ou activement! Donc, la question serait plutôt pourquoi les hiérarchies cautionnent… Cela indique souvent une organisation pathologique, sinon pathogène (qui crée ensuite ses propres maux). Il est essentiel de sensibiliser les personnes à l’existence du harcèlement, de former les acteurs ressources (internes et externes à l’entreprise) aux subtilités psychopathologiques, ainsi qu’au travail en réseau… Et surtout, garder à l’esprit qu’il n’y a pas de recettes «miracles» et que les simplifications sont souvent à l’origine d’erreurs graves.
À suivre, le harcèlement véritable boîte de Pandore et le harcèlement et la prémonition