Sur les cas de conscience de la pratique clinique en libéral…
Dernière mise à jour : 28 juil. 2020
29 octobre 2012
« Primum, nil nocere [1] » : Variations sur la déontologie [2]
Devenir psychologue en libéral émane d’un choix courageux.
« Se mettre à son compte », cela signifie rendre des comptes aux patients, et surtout, à soi-même. Ce dernier acteur est d’ailleurs rarement le plus indulgent ! Cela implique aussi de ne plus rendre de comptes à une institution (hormis l’institution judiciaire) car, bien que l’indépendance stricte du psychologue exerçant en institution soit stipulée, elle est en réalité le fruit d’une bataille quotidienne pour faire valoir les droits d’une profession et ses garanties d’exercices.
Tout d’abord, être psychologue clinicien en libéral conduit, la plupart du temps, à une double posture : ouvrir un cabinet pour des patients, et interagir avec les institutions (sous la forme de supervisions, analyses des pratiques, formations, groupes de parole…). Je désire ici interroger la pratique du clinicien dans son cabinet, au travers de variations sur la déontologie de la profession.
Lorsque le clinicien devient thérapeute en libéral, il est assujetti à des droits et à des devoirs. Sa responsabilité en est accrue, du fait que, précisément, l’institution n’est pas là pour la prendre à sa place, ou la diluer dans le collectif de travail. Ainsi, le clinicien est seul face à la loi, mais aussi face… à sa conscience.
Le pour et le contre du métier
Le cabinet thérapeutique offre davantage de liberté au clinicien pour aider les patients, qui y trouvent souvent plus de confort qu’en institution. La liberté est déjà présente dans le fait que le clinicien gère son emploi du temps comme il le souhaite.
En institution, il sera tributaire des réunions de service, d’une orientation de service, d’un cadre institutionnel qui, s’il peut être rassurant, peut également se transformer en carcan.
La plus grande souplesse et la plus grande liberté présentent néanmoins un revers de la médaille. Si le clinicien ne trouve pas d’instances régulatrices dans son activité (supervision, intervision, poursuite du travail thérapeutique personnel etc.), et s’il s’enferme dans une forme de solitude, alors le risque est grand de voir resurgir le spectre du dogme, de la certitude, de la toute-puissance, de l’emprise.
Faut-il le rappeler ? En aucun cas, un psychologue n’est fondé à émettre de jugements sur ses patients. Il les accueille avec bienveillance, ouverture et empathie. Pourtant, chers lecteurs, vous savez comme moi que rares sont les psychologues qui n’ont jamais « fauté » et émis de jugement sur un patient qui les excède, ou classé trop rapidement dans une catégorie nosographique, alors que le classement lui-même viendra perturber la relation thérapeutique d’humain à humain. Si le collectif institutionnel peut aussi dériver dans ce sens, le clinicien en libéral doit veiller à mettre en place, de façon autonome, des régulations à cette tentation.
Pour soigner les autres, il faut se soigner soi
L’âge ne fait rien à l’affaire. Il existe une confusion fréquente entre âge et expérience. Nul besoin d’attendre 70 ans pour ouvrir un cabinet en libéral, ce serait bien insuffisant. Car l’expérience se définit comme la capacité d’avoir subi des épreuves et d’avoir su les transcender, les transformer.
Pour avoir de l’expérience, il faut donc :
avoir eu des épreuves (les plus variées possibles, des épreuves simples aux complexes, des petites aux grandes souffrances),
être en intelligence de les transformer en forces.
On peut finir « vieux et cons » !
Dans ce cas, l’ouverture du cabinet sera toujours un désastre.
Mais, pour être thérapeute, il faut plus que de l’expérience. Il est absolument indispensable d’une part, d’avoir travaillé sur soi, d’autre part, d’avoir expérimenté les « techniques » thérapeutiques que l’on souhaite appliquer aux autres. Question d’honnêteté ! Et question de dangerosité aussi. Nul n’est thérapeute s’il ne demeure en travail toute sa vie. Conseillons vite aux patients de s’enfuir en courant s’ils entendent un thérapeute leur dire qu’il a réglé tous ses problèmes dans une psychanalyse de 10 ans !
Posture haute ou posture basse ?
Quelles que soient les orientations thérapeutiques, quelles que soient les connaissances, il n’y a rien à faire : le bon thérapeute soignera avec son cœur, le mauvais, avec son ego. Dans le second cas, il se placera en position haute de son patient, non pas comme le « supposé savoir » mais comme le « tout-puissant sachant ». Soigner avec son cœur, c’est déjà entendre la souffrance de l’autre, l’accueillir dans un espace charitable où, en tant que thérapeute, je me soucie de… (care). Alors, méfions-nous dès que nous croyons savoir. C’est souvent à cet endroit-même que nous ignorons. Et puis, le psychologue thérapeute donnera de son temps à désapprendre les cases nosographiques apprises à l’Université. Il se rendra bien à l’évidence que les gens ne rentrent pas dans des cases, que la case ne sert qu’à enfermer, donc qu’elle est souvent plus dangereuse qu’explicative.
Apprendre plusieurs techniques
Nous l’avons dit, le risque est un risque d’emprise : se croire sachant, tout-puissant, croire que, si l’intention du thérapeute est bonne, elle suffit à être guérissante, croire que l’on sait mieux que le patient quel est son problème.
Le risque d’emprise est souvent corroboré par celui du dogme, c’est-à-dire de l’enfermement sectaire dans une pensée unique, celle de son groupe d’appartenance et ce, quelles que soient les techniques thérapeutiques revendiquées. Ce phénomène est plus fréquent que l’on ne l’imagine, et il est également très dangereux. De là découle la nécessité d’apprendre un maximum d’outils théoriques et cliniques, pour pouvoir s’adapter au mieux à la demande et au besoin du patient.
Deux règles semblent imparables :
Seul le patient a la réponse pour lui-même, nous ne sommes que des guides, des accompagnants respectueux, quelles que soient les méthodes utilisées.
L’humilité est une qualité indispensable au bon thérapeute, impliquant une remise en question permanente. Elle est présente dans le terme « clinique », en référence au médecin et philosophe Hippocrate (Ve siècle avant J.C., en Grèce Ancienne), qui se mettait au pied de la couche du patient, pour en observer patiemment et humblement les symptômes dans un but de soulagement thérapeutique.
C’est cette humilité qui incite à rediriger le patient vers un autre professionnel si l’on ne se sent pas en capacité d’accueillir sa problématique (soit qu’elle renvoie à des émotions trop profondes chez soi et qui ne sont pas encore dépassées, soit qu’elle signe notre limite de compétences), et à refuser de répondre à la question : « mais combien de séances il faut à votre avis pour que j’aille mieux ? »La thérapie est un voyage vers des destinations inconnues, tant pour le patient que pour le thérapeute, et peut-être davantage pour le thérapeute encore, dont la fonction est d’accompagner le voyage du patient vers ses profondeurs, avec empathie, bienveillance, ouverture de cœur et accueil.
Être garant du cadre
Pour être garant du cadre thérapeutique auprès des patients, encore faut-il l’avoir défini au préalable et s’être assuré que le patient a bien compris et accepté les règles de fonctionnement. Le cadre fixe l’espace et le temps de la thérapie. Une fois défini, le thérapeute doit s’en porter pleinement garant. Si le cadre n’est pas défini, alors l’imposition ultérieure du cadre devient arbitraire.
Cela signifie aussi (les exemples que je prends étant issus de récits de patients sur des mésaventures thérapeutiques, toute situation étant transformée, par respect de l’anonymat) :
Que le thérapeute ne doit pas suggérer des « sorties de cadres », par des questions intrusives qui n’ont pas de rapport avec la thérapie (sur la sexualité du patient, ses contacts relationnels au travail qui intéressent le psychologue pour d’autres raisons que la thérapie…),
Que le thérapeute doit s’éviter tout jugement sur la vie et les mœurs du patient,
Que le thérapeute doit éviter de demander des services au patient, dans son intérêt personnel,
Que le thérapeute doit éviter de rencontrer le patient en-dehors de la thérapie,
Que le thérapeute doit éviter de dire au patient de quelle façon il doit mener sa vie (se séparer ou non, changer de métier…),