Témoignage de Tic Tac
résiliente Souffrance au travail
10/02/2016
Ma longue expérience professionnelle m'a révélé peu à peu que j'étais prisonnière d'un système où la finance devenait le dictateur au détriment de l'objectif initial de l'entreprise, du respect du consommateur, par une manipulation corruptive subtile des différents acteurs du secteur (distributeurs, clients, intermédiaires, institutions, salariés de l'entreprise...). Le discours marketing était mensonger et empoisonné de menaces dissimulées (si vous ne consommez pas, vous prenez le risque de...)
Pourtant, malgré cet environnement professionnel toxique dans lequel je souffrais, mon rêve d'en sortir restait tétanisé par mes peurs. Peur de l'avenir, peur de manquer, peur de tout perdre, mon statut, mon salaire, mon image, mon apparente assurance, peur de ne plus convenir, peur de lâcher cette course vers la reconnaissance, finalement ...peur de ne plus être aimée.
Ces peurs existaient d'autant plus qu'elles étaient alimentées par les peurs que me projetait mon entourage.
Mon corps et mon esprit m'exprimaient ce conflit à l'intérieur de moi par une souffrance permanente, et physique, et psychique.
Mais je préférais ne pas l'écouter.
L'idée de changer, de l'inconnu, si j'acceptais d'abandonner mon fonctionnement, de lâcher prise, représentaient une telle frayeur que je résistais avec de multiples traitements allopathiques, consommation d'alcool, hyperactivité. N'importe quoi pour me fuir, fuir mon malaise, pourvu que soient condamnés au silence mes symptômes.
J'étais persuadée être indispensable à mon activité professionnelle. Mes dirigeants me flattaient, exprimaient à quel point je leur étais indispensable. Ils jouaient le jeu de mes faiblesses. Mon besoin de reconnaissance. Ce qui renforçait mon hyperactivité. Je tenais à mon travail et m'épuisais à répondre à leurs attentes, même si je me rendais bien compte que toute cette énergie dépensée rétrécissait de plus en plus ma liberté d'action et de pensée.
Je me sentais coupable de ne pas être assez forte, assez résistante, je m'accusais d’être plus faible que mes collègues qui, eux, semblaient plus solides.
La pression se faisait croissante, et l'exigence de résultats au bénéfice des actionnaires imposaient de se laisser manipuler dans un fonctionnement de moins en moins éthique. Pour exemple, lors d'une présentation de nouvelle campagne de promotion, les directives officielles étaient présentées en réunion générale, par les dirigeants et étaient parfaitement conformes à la réglementation et au respect du consommateur. Par la suite, en tête à tête ou en comité restreint, leur subordonné nous suggérait ,avec le souci de nous apporter son soutien dans la réalisation d'objectifs commerciaux très ambitieux, disons... d' omettre certains détails, voire de modifier le discours, en clair mentir, afin d'augmenter les résultats. Ces changements étaient vécus pour la plupart de mes collègues comme des aides, leur éventuelles conséquences étaient ignorées. J'ai, à plusieurs reprises osé souligner la possibilité de conséquences graves, notamment sur la santé du consommateur dans notre domaine. J'ai été cataloguée de personne pessimiste qui voyait le mal partout… J'ai décidé de malgré d'obtenir des résultats très convenables en résistant le plus possible et du mieux que je pouvais à cette manipulation tout en faisant comme si j'appliquais bien les nouvelles règles du jeu. Cette attitude professionnelle schizophrène était épuisante. Côté clients (intermédiaires, consommateurs), chacun ou presque est manipulable à souhait, fait confiance, ne se pose aucune question, croit sur parole. Là encore, sur des problématiques sérieuses, lorsqu'il était exigé une réponse écrite de la direction, elle était évidemment bien différente d'une réponse verbale.
Bien entendu, mon entourage familial et amical plaignait mon état de fatigue récurrente et me conseillait de me reposer davantage le week-end, de prendre plus soin de moi afin de préserver ma situation professionnelle confortable et rassurante dans un contexte économique difficile. Il fallait s'accrocher. C'était déjà un luxe d'avoir un travail, un statut de cadre.
Quand la situation était trop insupportable, j’atterrissais dans le cabinet d'un médecin qui me prescrivait des anxiolytiques, antidépresseurs, somnifères, et antidouleurs, anti-inflammatoires pour mes lumbagos de plus en plus fréquents. Je me reposais quelques jours, puis je reprenais mon activité avec tous ces pansements.
Jusqu'au jour où, si épuisée physiquement et psychiquement, je me suis retrouvée, du jour au lendemain, dans l'incapacité d'aller travailler, de répondre au téléphone à mes clients, ni même à mes amis. Je me faisais l'impression d'être un élastique qui avait trop joué et s'était cassé. On ne répare pas un élastique. On ne répare pas un moteur cassé. On le change…
Diagnostic : dépression réactionnelle liée aux conditions de travail.
Immobilisée, au fond de mon lit, avec des crises d'angoisses, des crises de panique ingérables, et une envie mourir extrêmement difficile à supporter, je préférais fuir dans le sommeil. Je ne me levais que pour l'essentiel. J'avais perdu toute énergie. Je ne pouvais plus conduire, je marchais peu et très lentement. On me nourrissait. Des douleurs physiques circulaient en permanence dans mon corps.
Si je n'avais pas été entourée, j'aurais été hospitalisée.
Je pensais que cette fois, je n'arriverai pas à me relever.
J'avais eu la chance, quelques mois avant, de commencer un travail psychothérapeutique avec Mme Bilheran qui insistait régulièrement sur le danger auquel j'étais exposée. Elle tentait de me faire prendre conscience de la réalité de mes conditions de travail.
Lorsque je suis « tombée », elle a été d'une infinie bienveillance, elle ne m'a pas lâchée, je me suis sentie accueillie, soutenue, protégée. Entre chacun de nos rdv, elle a été présente à chaque instant où je me sentais sombrer. C'était très difficile pour moi. Il m'a fallu du temps pour accepter, ne plus être dans le déni de la réalité de l'entreprise et de leurs risques dangereux pour mon état de santé psychique et physique.
La culpabilité d'être en arrêt maladie me rongeait et était alimentée par les messages téléphoniques de mes collègues, de mes clients, les mails de l'entreprise. On me demandait des nouvelles et quand j'allais reprendre mon activité. J'ai même reçu un mail et un appel d'un nouveau directeur voulait me rencontrer pour faire ma connaissance. Il y avait un conflit en moi, je me sentais à la fois coupable de ne pas répondre à ces demandes et à la fois je sentais bien au fond de moi que je me mettais en péril en autorisant la communication.
J'avais beaucoup de mal à prendre conscience de la réalité de mon état qui, je n'ai plus de doute aujourd'hui, était catastrophique.
Mme Bilheran m'a aidée à comprendre la nécessité absolue d'être éloignée de la maltraitance liée à mes conditions de travail, et de fuir mon autodestruction.
Après plusieurs semaines, mon médecin généraliste m'a déclaré qu'il devait rendre des comptes à la sécu et m'a invitée soit à démissionner ou à solliciter un rdv avec le médecin du travail… Comme si je n’étais pas malade, comme si je n’avais rien ! Comme si j’étais en capacité de travailler ! Je ne comprenais pas ce que ces conseils signifiaient. Mais je me sentais à la fois humiliée, fautive, à la fois aussi choquée.
Heureusement, parallèlement, j'avais pris rdv avec un psychiatre, qui a pris en charge mes prolongations d'arrêt chaque mois, ainsi que les prescriptions liées à sa spécialité, m'a expliqué que mon état justifiait un suivi sérieux par des professionnels compétents, surtout plus courageux, et m'a conseillé de changer de généraliste.
J'ai compris que mes blessures psychiques étaient invisibles. J'avais moi-même de la difficulté à les reconnaître, à ne plus être dans le déni de mon état. Aussi, comment les autres pouvaient-ils les reconnaître si je me taisais, ne laissais rien transparaître ? J'ai dû parfois malheureusement souffrir de nouveaux traumatismes de la part de professionnels auxquels j'ai été confrontée et qui m’ont fait revivre la maltraitance que l’entreprise me faisait déjà vivre : il fallait subir et se taire. Heureusement aussi, j'ai rencontré des professionnels compétents, à l'écoute, qui ont su reconnaître ma souffrance.
Lorsque j'ai reçu ma première convocation au contrôle de la sécu, j'étais terrorisée à l'idée d’être incomprise, que ma souffrance paraisse invisible, d’autant plus qu'une amie, victime d'un traumatisme crânien avec des séquelles importantes, m'avait fait part de sa mauvaise expérience auprès d'un médecin conseil de la CPAM très agressif. On a peur d’être contrôlé comme si on était coupable. Ai-je eu beaucoup de chance ? J'ai été reçue par une femme très compréhensive, qui m'a remis un document de prise en charge ALD et m'a demandé de le faire compléter par mon médecin traitant. Le deuxième contrôle a été quant à lui, à l'opposé, maltraitant. J'ai eu le sentiment d'être considérée a priori comme malhonnête : à tel point que j'ai fini par craquer et me suis retrouvée en larmes… tout en étant désolée. Avec le recul je ne peux m’empêcher de penser : Est-ce vraiment nécessaire pour ces médecins contrôleurs de gratter la plaie pour vérifier qu'elle existe ?
Côté Mutuelle, même si le système « Prévoyance » est censé prévoir la prise en charge d'un état de burn out, après mes appels téléphoniques, mes mails, mes courriers simple, puis un courrier recommandé, aucune réponse, aucun versement complémentaire. Après une mise en demeure par courrier recommandé d'un avocat, j'ai reçu un dossier à remplir par le médecin traitant qui après appréciation du médecin conseil Prévoyance a enfin déclenché les versements attendus depuis plusieurs mois ! (comment fait-on quand on n'a pas de soutien pour se défendre ?)
Finalement, le système est tel qu'il maintient, voire il amplifie, la souffrance au lieu de la soulager.
Heureusement, mon psychiatre, mon nouveau médecin généraliste et ma psychologue étaient tous du même avis. Ils ne pouvaient pas être trois incompétents avec le même diagnostic et les mêmes arguments ! Ils travaillaient indépendemment à me faire prendre conscience de la nécessité de me reposer, de rester loin du travail le temps de me rétablir. Peu à peu, ils m'ont avoué que cela demanderait du temps. 1 an, voire 2, peut-être plus suivant l'évolution… et qu'il était hors de question d'envisager reprendre mon activité avant complet rétablissement
C'est difficile à admettre. Je ne comprenais pas, ou plutôt, j’aurais voulu aller mieux très vite.
Mme Bilheran m'a aidé à lâcher prise, à prendre conscience des conditionnements dans lesquels j'étais enfermée, et m'a guidée en douceur vers la découverte d'un nouvel état, dans le respect de moi-même.
Aujourd'hui, mes collègues de travail souffrent beaucoup, certains ont préféré démissionner, d'autres ont été licenciés en quelques heures pour des fautes qu'ils n'ont pas commises. 25% se sont retrouvés comme moi en arrêt maladie.
L'entreprise organise sa faillite pour justifier d'un plan social. Une opération financière. En attendant, elle dégoûte, épuise, humilie ses salariés, court-circuite leur cerveau, avec l'espoir que certains encore partiront avant la mise en route de ce plan, toujours trop coûteux pour les actionnaires… Les médias eux aussi sont trompés et transcrivent un discours erroné.
Aujourd'hui, je reconnais que Mme Bilheran, par sa compétence et son expertise, avait une juste analyse de ma situation, je sais que son soutien a été et est encore un cadeau précieux qui m'a permis de transformer mon épreuve en opportunité de changement, d'enseignement et d'épanouissement.
Mes déséquilibres émotionnels ne représentent plus le carburant nocif de choix dysfonctionnants, ils sont tout simplement un signe sain que j'écoute et qui au contraire m'oriente vers un meilleur équilibre. Elle a su établir avec moi une confiance que je n'avais jamais pu établir vraiment dans ma vie, une confiance en moi-même, en la vie. Elle m'a appris à me respecter, à m'aimer. Moi qui n'avais plus aucune énergie, plus aucun espoir, qui pensais que me relever serait impossible, après de longs mois de repos, de questionnements, de doutes intenses, plus les mois passent, plus je découvre la puissance de mon travail avec elle.
Ma peur de changer s'est transformée en bonheur d'évoluer. Même si mon avenir n'est pas bien défini encore, j'ai pris une voie qui m'apporte joie et sérénité.