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Recension sur Psychopathologie du totalitarisme

  • il y a 4 jours
  • 8 min de lecture


«J’ai lu ce livre il y a 2 ans. Il m’avait marqué tant il me permettait de mettre en écheveau cette pelote d’incompréhensions emmêlées, ces dissonances qui martelaient mon cerveau de questions auxquelles je ne trouvais même pas le début d’une réponse. Cette lecture me permit d’explorer, depuis, de nombreux fils de l’écheveau, un par un. Plus j’avançais plus l’horizon s’élargissait, chaque fil menant à un autre, puis un autre, puis un autre. L’horizon s’est considérablement élargie et la vision, d’abord floue, s’est petit à petit affinée. Les fils se reliaient finalement les uns aux autres, pour dessiner très logiquement un paysage qui avait du sens. La vision se faisant plus nette, le monde me parut bien plus laid que l’illusion que je m’en faisais dans le flou. Cependant, je m’y sentais bien plus ancrée, plus aguerrie à ses dangers et j’y découvrais finalement beaucoup de beautés, de sublimes et de valeurs sûres.

 

Deux années ont passé, et je parcours ce livre aujourd’hui. Il me paraît encore plus riche, encore plus clair car j’y relie d’autres lectures que j’ai faites depuis, des vécus personnels et le déroulé de l’Histoire de ces dernières années. Certaines phrases ne sont plus des mots que l’on lit mais des émotions que l’on ressent à se remémorer un discours, une conférence, un livre ou une expérience personnelle. Je brûle de vous donner l’envie d’en faire la lecture tant il me semble une clef fondamentale dans la compréhension de ce monde dans lequel nous vivons, des relations que nous y entretenons, des croyances que nous en avons et des processus dont nous n’avons, pour beaucoup, si peu ou pas conscience.

 

Je pose ici quelques bribes de ce livre qui je l’espère susciteront votre curiosité.

 

Ce que nous imaginons tous, lorsque nous entendons ou lisons le mot de totalitarisme, ce sont des soldats, des camps, des armes… le bruit des bottes, en quelque sorte. Ce que vous découvrirez dans ce livre, c’est que le système totalitaire est infiniment plus vaste; comme si l’on ne voyait qu’une seule douille sur tout un champ de bataille.


«La tragédie, c’est que la plupart des gens ne comprennent pas la menace qui pèse sur nous, parce qu’ils ne connaissent pas le contexte historique.»

Vera Sharav,  page 15.

 

Ariane Bilheran s’appuie sur de nombreux auteurs et philosophes qui ont non seulement pensé le phénomène totalitaire mais l’ont vécu. Ainsi Hannah Arendt, André Suarès, Alexandre Soljenitsyne, Véra Sharav, Günther Anders, Slobodan Despot, Arthur Koestler...

 

Le despotisme, la tyrannie ou la dictature ont pour objectif clair et affiché le pouvoir absolu entre les mains d’un homme. Le totalitarisme va beaucoup plus loin en ce qu’il vise une domination planétaire, le règne sur chaque individu jusqu’à son intime, ses pensées et son corps et a pour finalité l’atomisation des individus. Lorsque le tyran est mis hors d’état de nuire, on souffle; dans le totalitarisme, il ne s’agit plus d’un homme ou d’un petit groupe mais d’un système tout entier, qui gangrène toute la société et bien évidemment ne s’affiche pas clairement.

 

C’est donc une analyse dans les tréfonds de ce système tentaculaire qu’Ariane Bilheran réalise soulevant les voiles qui obscurcissent notre vision à tel point que nous ne voyons pas ou pas totalement les entrailles de ce monstre.

 

«Qu’il croie toujours être le maître, et que ce soit toujours vous qui le soyez. Il n’y a point d’assujettissement si parfait que celui qui garde l’apparence de la liberté; on captive ainsi la volonté même. Le pauvre enfant qui ne sait rien, qui ne peut rien, qui ne connaît rien, n’est-il pas à votre merci? Ne disposez-vous pas, par rapport à lui, de tout ce qui l’environne? N’êtes-vous pas maître de l’affecter comme il vous plaît? Ses travaux, ses jeux, ses plaisirs, ses peines, tout n’est-il pas dans vos mains sans qu’il le sache? Sans doute il ne doit faire que ce qu’il veut; mais il ne doit vouloir que ce que vous voulez qu’il fasse.»

Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l’éducation.

 

Il faut admettre que ce système n’est pas nouveau, qu’il s’infiltre petit à petit depuis des décennies, et que si chaque génération est témoin d’une avancée, elle ne l’additionne pas aux précédentes pour prendre la mesure de l’emprise, d’autant que l’histoire est en permanence réécrite.


Le pouvoir totalitaire entend «déconstruire notre propre Histoire» (extrait du discours d’Emmanuel Macron, avril 2021, page 49, note de bas de page), il s’en fait un devoir.

 

L’étude de la psychologie humaine et des manipulations, les méthodes de contrôle sophistiquées et technologiques ont été développées, affinées pour être finalement appliquées aux populations, aux masses. Les individus sont dépouillés de leur esprit critique, de leur conscience, de leur propre identité; ils sont handicapés volontairement afin de devenir de simples objets, modelables, utilisables et jetables.


«Une fois que les masses cessent de croire, le totalitarisme s’effondre. C’est la raison pour laquelle maintenir l’idéologie en "mouvement perpétuel" est l’obsession du pouvoir totalitaire. […] L’idéologie n’a pas nécessairement de cohérence ni de vérité, et encore moins de lien avec l’expérience vécue.» (page 39).

L’homme a été préalablement désarmé avec la démolition de la morale, de la religion, de la spiritualité, de l’éducation, de la famille, des communautés, des corporations, les liens entre les êtres, etc. La perversion du langage, sa corruption par la sophistique réalisent une véritable inversion: d’outils d’expression libérateur il devient prison «et même forclusion». (page 122). À force de répétitions, de mensonges, génération après génération, l’esprit de l’individu et la conscience collective sont prêts à être colonisés.

 

Le mode opératoire utilisé n’est ni plus ni moins que celui de la torture et de la terreur. Par exemple, l’isolement brise les repères et rend l’individu vulnérable et donc perméable. L’arme fatale est celle du traumatisme qui fragilise, ouvre grand la porte à la manipulation et permet à la pompe de la terreur d’activer la perfusion de l’idéologie.

 

Ariane Bilheran explicite très clairement comment les psychismes régressent à un stade infantile sous les programmes de contrôles élaborés par des paranoïaques, mis en place par des pervers et accomplis par des psychopathes.


«Le délire paranoïaque opère donc comme un pansement sur les psychismes traumatisés et meurtris. Il agit comme une seconde peau sur les ampoules, et soulage la douleur. Il se présente en "folie raisonnante", englue la pensée et l’entraîne dans une croyance délirante partagée, sans plus s’embarrasser de la recherche de la vérité ni du rapport à l’expérience.» (page 168).

 

Les individus n’ont alors plus de système immunitaire pour lutter contre le virus du totalitarisme, ils acceptent la prédation de leur propriétés, de leurs corps, de leur vie intime. Cette vie intime qui est le lieu même de la liberté véritable. L’ «homme nouveau», que le système prétend créer de toutes pièces, à partir de zéro sera la propriété du système totalitaire. Le génocide n’est pas un accident mais l’élimination de ce dont il n’a plus besoin: l’humain.

 

Ce système totalitaire anéantit ce qu’Ariane a conceptualisé: les 4 piliers de notre civilisation que sont les interdits du meurtre, de l’inceste, de la différence de génération et de la différence des sexes.  Ce sont eux qui nous permettent la distinction entre le bien et le mal, le vrai et le faux. Ils sont la base de la justice qui ne peut plus être rendue d’autant que la vérité n’est plus, puisque seule l’idéologie est autorisée. Ainsi la population, contaminée par la psychose paranoïaque, devient-elle complice ou témoin muselé de ces violations et n’en est que plus angoissée et traumatisée.


«Dans L’Archipel du goulag, Soljenitsyne parle des gens qui sont dans l’incompréhension, et attendent toujours que justice soit rendue par des criminels, comme si l’on pouvait attendre que les criminels rendent justice.»

(page 235, c’est moi qui souligne).

 

Si cela paraît incroyable, il convient de se rappeler des atrocités commises sous le régime nazi et se remémorer les figures médiatiques en 2020 qui incitaient à la violence envers ceux qui se refusaient aux injections expérimentales ou encore l’épisode Rivotril qui a mis fin aux jours de plusieurs milliers de personnes âgées. Aujourd’hui, l’idéologie s’attaque aux enfants qui, vulnérables et faibles, sont livrés à l’école à des exécutants passifs, muselés ou aveuglés, voire même à des profils pathologiques.

 

«[…] le pouvoir totalitaire, par son délire paranoïaque, crée des maladies mentales dans la population. […] Le tableau clinique de la psychopathologie du totalitarisme est du grand art psychiatrique!» (page 224).


Schizophrènes, paranoïaques, névrose obsessionnelle, pulsions mortifères et suicidaires et «processus addictifs créés par l’idéologie: l’individu a joué sa mise sur un discours, il y a engagé son être et ses actes, et plus il s’y est engagé, plus il est difficile d’encaisser les pertes de ce choix erroné. Il continuera donc de miser sur le narratif officiel.» (ibid.).

 

Ariane Bilheran cite Günther Anders à plusieurs reprises et notamment ses analyses dans L’obsolescence de l’homme qui expliquent à quel point la division du travail en tâches automatisées font de l’homme une machine qui exécute sans prendre la mesure de la finalité de ce à quoi il participe.


«Le totalitarisme est un système où se diffusent des processus de fanatisme, de fermeture, d’intolérance, de méfiance et de haine. […] Les causes sociopolitiques, qui sont tout aussi bien des conséquences de la montée de l’angoisse, sont la marchandisation des corps, la prédation, le pillage, la réification, la servitude, le chantage, l'exclusion et la contrainte sur les esprits et sur les corps.»

P. 210-211 (c’est moi qui souligne).


À tous ceux qui pensent qu’obéir leur permettra de passer entre les mailles du filet totalitaire, Ariane Bilheran confirme sans la moindre hésitation qu’ils se leurrent. «Ce ne sera jamais assez ni assez bien». L’allégeance n’engendre que mépris et ces obéissants seront les toutes premières victimes.


Ce que craint le système totalitaire, c’est que les individus retrouvent leur individualité, leurs états d’âme, leur étincelle fondamentale de liberté. Il craint la littérature et l’humour qui permettent aux psychismes de se libérer de l’emprise. Il craint que les langues ne se libèrent, que les souffrances deviennent visibles et fasse tomber l’illusion. Il craint la colère, émotion qui permet de sortir de l’impuissance en ce qu’elle brise les barrières de la peur qui prive l’individu de réagir lorsque ses valeurs fondamentales sont attaquées. Il craint l’amitié, véritable antidote à la méfiance instillée. Il craint le beau, le sublime en ce qu’ils éveillent en l’homme l’«écho de sa destination morale» (page 297). Il hait la charité et l’amour qui relient les hommes entre eux. Enfin, il craint par dessus tout la vérité qui dévoile son monstrueux dessein et active chez l’humain le courage, la foi, la libre pensée et la volonté.


André Suarès: «L’enfer ne peut prévaloir, là où l’esprit a reçu l’étincelle et pris vie dans le cœur et l’âme des hommes: là où l’homme est né à l’homme, conscience contre conscience.»

Contre le totalitarisme, page 213, cité en notre de bas de page 303.

 

Psychopathologie du totalitarisme est l’aboutissement de 20 années de travail. Les quelques lignes de son survol ne suffiront pas à vous imprégner, à ancrer en vous cette compréhension. Elles ne peuvent remplacer la lecture de l’intégralité de l’ouvrage dans lequel vous ne pourrez qu’être admiratif du talent de l’auteur à expliciter de façon limpide et fluide des concepts d’autant plus complexes qu’ils sont «perversement» élaborés.


Après la lecture de ce livre, il ne fait aucun doute que vous aurez acquis les clefs nécessaires au repérage de la manipulation et n’en serez, dès lors, que très peu probablement victime.


Enfin, il n’est pas exclu que, comme moi, vous vous replongerez à nouveau dans ce livre, plus tard, avec un regard nouveau, une acuité accrue qui feront de cette lecture non pas une répétition mais une nouvelle lecture.»


Psychopathologie du totalitarisme

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