Novembre 2022
Quelle est la source psychique de la notion d’autorité ?
Comment se rapporte-t-elle à la pensée critique et au sens de la liberté et de l’autodétermination ?
La notion d’autorité est indissociable de la notion de liberté. On ne peut être un individu libre que si l’on a acquis une autonomie, par une intériorisation des interdits fondamentaux et le respect de l’altérité, un rapport à notre héritage (nos ancêtres et leurs œuvres). Une liberté qui revendique une absence d’interdits et de règles, est un esclavage : on est esclave de ses désirs primaires et de ses pulsions. Un enfant qui grandirait sans aucune autorité parentale serait sans repères et sans capacité précisément de devenir un adulte autonome, ou comme vous le dites, autodéterminé.
La pensée critique a besoin également de faire le tri. Elle s’appuie sur une distinction logique entre le vrai et le faux. Tout ceci nécessite de sortir de la confusion, et d’introduire des séparations, des interdits : 1 n’est pas 0. Et il est interdit de le revendiquer, car ce n’est pas vrai.
La source psychique de l’autorité s’enracine dans la fonction paternelle, qui pose les interdits fondamentaux et fait tiers entre la mère et l’enfant. Une autorité bien comprise est protectrice, bienveillante, et aide l’enfant à sortir psychiquement de la confusion pour se structurer et se construire, et notamment, intérioriser la distinction entre le bien et le mal (interdits moraux) et la distinction entre le vrai et le faux.
Dans quel registre joue la psychopathologie de l’autorité ? Y a-t-il ici une évolution historique ?
L’histoire de l’humanité est celle de l’articulation entre l’ordre et la liberté. Il y a bien sûr des moments historiques où les sociétés revendiquent davantage d’ordre et d’autres, davantage de liberté. Mais il faut comprendre que ces deux termes ne sont pas équivalents. L’ordre est indispensable : un enfant qui n’acquiert pas un minimum de discipline est incapable d’étudier. Mais il ne peut pas être une fin. Il ne doit pas être une fin, car cela n’a pas de sens. L’ordre n’est qu’un moyen au service de notre liberté qui, elle, est une fin de la condition humaine. Prenons l’exemple d’un orchestre. Si chacun joue la partition qu’il veut, le résultat sera atroce. Pour jouer une musique harmonieuse et qui élève l’âme des auditeurs, il est nécessaire qu’il y ait un chef d’orchestre qui organise les places et les partitions de chacun. L’ordre est au service de l’œuvre.
Quel rapport voyez-vous entre autorité et pouvoir ?
L’autorité est souvent confondue avec le pouvoir, mais elle n’est pas synonyme de pouvoir. Le pouvoir est application de la force qui décide, ordonne, surveille et punit.
L’autorité peut exister sans la force du pouvoir, et incarner un contre-pouvoir d’ordre symbolique. En revanche, l’autorité est un attribut possible du pouvoir, elle rend son exercice supportable parce qu’elle légitime le pouvoir. On obéit davantage à quelqu’un qui fait figure d’autorité pour nous, et souvent, cette autorité est donnée (par celui qui la reçoit) par la connaissance, l’héritage, la transmission, le savoir. C’est la relation qui existe traditionnellement entre un enseignant et un élève. L’élève accepte que l’enseignant lui donne des ordres, des exercices à faire, etc., parce qu’il est légitimé par la connaissance qu’il est censé détenir. L’autorité́ augmente la personne dont elle émane, mais elle augmente aussi celle qui la reconnaît. Le Maître a une autorité́ qui, si elle est reconnue par le Disciple, l’incite à croître vers un perfectionnement. L’augmentation du pouvoir par l’autorité́ lui confère une action civilisatrice, et non destructrice : elle pose des interdits, sépare, clarifie les places de chacun.
Le pouvoir cherche la possession et peut travestir les lois légales. L’autorité cherche l’autonomie du sujet (sa liberté) et se fonde sur une justice transcendante, divine, supérieure : les lois légales peuvent entrer en conflit avec les lois morales et spirituelles, comme dans le cas mythologique d’Antigone.
Et quel rapport entre autorité et autoritarisme ?
Comme je l’ai étudié dans mon livre, l’autorité exclut la contrainte. Donc l’autoritarisme n’a rien à voir avec l’autorité, car il abuse de la contrainte, il utilise la violence. De plus, la parole d’autorité pose des interdits, rendant possible le partage et la transmission, mais aussi un moment de symbolisation où peuvent advenir l’éthique, le juste, l’universel. L’autorité a à voir avec la liberté, qui est donc bien loin de l’autoritarisme qui consiste à supprimer la liberté, ou en tout cas, à la réduire. Mais être libre, c’est aussi savoir exercer des responsabilités, savoir répondre de soi, de ses paroles, de ses actions. L’autoritarisme est un abus d’autorité, mais en abusant, elle change complètement la notion, car dans l’autorité, il y au contraire la recherche de l’autonomie progressive de l’individu à qui s’adresse l’autorité. L’enseignant réellement bienveillant attend que son élève s’autonomise dans le champ du savoir et même, à terme, le surpasse en connaissance et maîtrise du sujet.
Est-ce qu'il y a vraiment un type de personnalité autoritaire ?
Toutes les personnalités narcissiques sont sujettes à l’autoritarisme, car l’autoritarisme est très proche des penchants tyranniques, voire pervers, cruels et sadiques.
Quel rapport voyez-vous entre autorité et totalitarisme ?
L’autorité est l’attribut du pouvoir légitime. L’une des vertus de l’autorité́ consiste à augmenter le pouvoir. D’une personne qui a de l’autorité́, on dit que son opinion pèse lourd ou qu’elle a du poids. Le verbe latin augere, d’où provient le mot auctoritas, signifie, dans sa plus commune acception, augmenter. Le totalitarisme éradique et supprime les droits humains dont le droit à la dignité, nie la part sacrée de l’être humain, tandis que l’autorité vise à l’augmenter. Le totalitarisme c’est « l’homme nouveau », la « table rase » (avant moi, il n’y avait rien qui vaille la peine), « après moi le déluge ». L’autorité, c’est tout l’inverse. Je renvoie les lecteurs à mes Chroniques du totalitarisme 2021.
Est-ce que vous pensez qu’une histoire totalitaire du type que nous avons ici, en Roumanie, après des dizaines d’années sous régime communiste, puisse agir comme une sorte de vaccination contre l’autoritarisme ou, par contre, ce type d’histoire nous rendra prône a la rechute dans une histoire du même type ?
D’après ce que j’ai pu entendre de la part de Roumains, il y a une sorte de connaissance intime, presque organique, de ce type de régimes, et cela donne à la fois une force, puisque des chemins de traverse ont été trouvés pour y survivre, et parce que le peuple est moins dupe que dans les régimes où les populations ont été très protégées depuis des décennies. Dans le même temps, cela donne une fragilité, car les résurgences autoritaires peuvent aussi rouvrir des blessures.
Dans le Moyen Âge on croyait en Dieu et on obéit l’autorité dogmatique de l'Église et du Roi ; la science naissait comme un registre du savoir qui débutait avec le doute et poursuivait par la recherche. Dans les dernières années on est témoins d'une nouvelle croyance, c'est-à-dire il y a bien des gens qui affirment leur « croyance dans la science ». Est-ce que la science est devenue une sorte d’autorité du type médiéval ?
La « science » est devenue une nouvelle religion, avec ses objets fétiches (masques et vaccins), et son idéologie : la guerre contre les virus. Au nom de cette guerre contre les virus, on assiste à une maltraitance sur les populations, avec des individus en Occident à qui l’on refuse des soins, d’exercer leur travail, etc. C’est un endoctrinement sectaire au nom de la science. J’ai écrit le livre Le débat interdit avec Vincent Pavan, précisément sur le sujet : comment les masses sont endoctrinées au nom de la nouvelle religion de la science, qui suppose une croyance aveugle, et comment cette supposée science ne s’appuie que sur des impostures et des fraudes épistémologiques (l’épistémologie est la partie de la philosophie qui étudie les conditions d’exercice de la science).
Le psychanalyste est une autorité parce qu’il est supposé savoir et par là se déroule le procès thérapeutique. Est-ce que le même vaut pour un autre psychothérapeute ?
Le « supposé savoir » attribué à un psychanalyste vaut aussi pour tous les autres psychothérapeutes, bien sûr, mais aussi pour les fonctions sociales à qui nous attribuons un savoir supérieur au sien qui lui conférerait une autorité sur nous. Par exemple, les médecins, mais aussi des institutions, par exemple l’OMS, pour citer des exemples actuels. Cette autorité de principe n’est pas nécessairement fondée.
Dans les dernières années on parle beaucoup sur le harcèlement sexuel et du bullying. Est-ce qu'on peut voir ce phénomène comme indice ou symptôme d'une corruption ou d’une pathologie de l’autorité ?
Oui, bien entendu. J’ai écrit beaucoup d’ouvrages sur le harcèlement. Le harcèlement est le symptôme d’une maladie collective qui prospère sur un type de terrain particulier : soit le terrain est trop laxiste, soit il est trop autoritaire. Dans les deux cas, le harcèlement est le contraire de l’autorité. Le harcèlement est une méthode : celle des régimes totalitaires. Le harcèlement est utilisé par les pouvoirs qui ne sont pas légitimes, et entendent perdurer au pouvoir par la force. L’autorité exclut la violence, et est ce concept politique qui nous permet le passage de la barbarie (la loi de la jungle, la vie pulsionnelle sans limites, les transgressions sur autrui) à la civilisation (la culture, le raffinement, les interdits, la liberté, le respect d’autrui).
Cela suppose un rapport au langage, au temps et à l’espace tout à fait différent, que j’explique dans mon livre. L’autorité a une triple fonction d’engendrement, de conservation, de différenciation. Elle suppose une hiérarchie et une obéissance, mais sans recourir à la contrainte ou à la séduction, simplement parce que l’autre, celui qui obéit à l’autorité, la reconnaît comme légitime. C’est une fonction essentiellement symbolique, et essentielle.
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