Recension sur Manipulation: entre pouvoir et perversion, sur Dondevamos

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Nos sociétés sont construites sur la manipulation: sans cela nous n’adhèrerions pas au récit délirant qu’on nous inculque dès la naissance. Sans une dose de manipulation, peut-être qu’il serait impossible d’éduquer de jeunes enfants. Mais aujourd’hui, les messages manipulatoires sont permanents, diffusés par une multitude de canaux - y compris nous-mêmes, et ont un impact d’autant plus énorme nos vies qu’il est très difficile de prendre du recul à chaque fois qu’on nous manipule.

Ariane Bilheran, qui est une spécialiste des procédés manipulatoires (dont elle a parlé dans un premier livre publié en 2013, Manipulation. La repérer, s’en protéger), approfondit la question dans La manipulation. Entre pouvoir et perversion pour fournir des clés de compréhension et des outils pour s’en protéger autant que possible, aussi bien dans le monde du travail que dans la vie personnelle ou dans la vie de citoyen.

Identifier la manipulation pour s’en protéger

D’entrée de jeu, l’auteure souligne que la manipulation se joue avec au moins trois parties: le manipulateur, le manipulé, et ceux qui créent le contexte permettant cette manipulation.

Le livre est une sorte de guide de la manipulation dans différents contextes: il rappelle la variété des méthodes de manipulation, plus ou moins subtiles, dont la finalité est toujours de "déposséder" l’autre de sa liberté en faussant les informations qu’on lui fournit ou en le plaçant dans une situation où il agira comme désiré. Ariane Bilheran présente des conseils pour repérer les processus de manipulation et réagir.

Un des procédés détaillés, fort populaire à l’heure de la communication instantanée, est celui de la calomnie, qui consiste à diffuser des mensonges sur un ou des individus pour les décrédibiliser, avec différents niveaux de gravité. Mais pour qu’elle fonctionne, la calomnie doit s’appuyer sur un fond de vérité, qui permet ensuite de dérouler un argumentaire calomnieux. Quel est l’objectif de la calomnie ? Détourner du message porté par la cible.

Ariane Bilheran insiste sur un point notamment: il ne faut pas combattre un manipulateur en utilisant ses armes, mais utiliser celles de la "contre-manipulation".

En lisant ce livre, on ne peut s’empêcher de repenser au covid, qui a été une grande révision générale de la quasi totalité des méthodes de manipulation des masses et des individus. Toute la charte de la torture psychologique d’Alfred Biderman, rappelée dans le livre, nous a été appliquée. On ne nous a rien épargné, depuis la fausse liberté jusqu’à la surprise, en passant par la menace, le nudge, le conformisme, le harcèlement, les injonctions délirantes et tant d’autres techniques glauques qui ne font que démontrer les mauvaises intentions de ceux qui en sont à l’origine...

Un tour d’horizon des procédés de manipulation

Dans l’entreprise où l’enjeu est de tirer un maximum des salariés, le processus finit souvent dans une atmosphère toxique pour tout le monde. 8 salariés sur 10 se disent concernés par la fatigue au travail, 66% disent subir un stress quotidien non régulé, 43% expriment un mal-être au travail: le monde du travail est une broyeuse à humains, où les cadences ne cessent de s’accélérer au même rythme que les moyens humains baissent - et que les profits des actionnaires explosent. L’entreprise est un lieu propice au harcèlement et à la manipulation, d’autant que l’effet de groupe y joue à plein. Pour y faire face, Ariane Bilheran souligne notamment l’importance du collectif.

Quant à l’exercice du pouvoir qui est aussi examiné dans ce guide, il est fondé sur le mensonge et la manipulation, en particulier dans les systèmes dits républicains comme le nôtre où le pouvoir n’est pas censé massacrer ses opposants. C’est aussi dans ces milieux de pouvoir que les manipulateurs s’épanouissent le plus, souligne Ariane Bilheran.

Ariane Bilheran rappelle d’ailleurs, concernant le discours politique, qu’il “n’est pas de l’ordre du vrai, mais du vraisemblable. Il n’a pas pour but de révéler la vérité, bien qu’il puisse faire semblant, mais sa finalité est de motiver, de rassembler, de séduire, en s’appuyant sur les valeurs et les émotions supposées de l’auditoire afin de susciter l’adhésion“. Connaître les méthodes de manipulation de l’opinion et d’ingénierie sociale est toujours utile pour garder l’esprit critique même dans un océan de propagande.

Le livre comprend un chapitre sur "le mirage de la délivrance et du bonheur", qui fonctionne très bien sur la quasi totalité des humains, en particulier quand ils sont désespérés. Autant dire que nos sociétés en implosion sont un terreau fertile. "La manipulation à l’espoir utilise souvent deux versants", explique Ariane Bilheran: "le premier, de rendre dépressif, de montrer le côté sombre quitte à l’exagérer; le second, de proposer un espoir, une sortie, une lumière" et se positionner en sauveur. C’est ce que font tous les gourous, leaders politiques en campagne compris même si, une fois élus, ils nous expliquent qu’ils vont nous sacrifier.

Enfin, l’auteur résume les leviers pour repérer la manipulation, qui passent essentiellement par la capacité à s’interroger, donc à prendre du recul, sur les messages qui nous sont envoyés, quelles que soient les circonstances et quel que soit l’émetteur. Il s’agit de se faire confiance, de travailler sur ses peurs, ses croyances, ses propres fragilités.

C’est un livre facile à lire et synthétique, utile à tous pour avoir en tête les parades contre la manipulation qui est notre lot quotidien. Il devrait être dans les lectures au lycée, en cours d’éducation civique.