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Des intellectuels et du pouvoir totalitaire

Dernière mise à jour : 23 janv.

Article de Nadia Lamm, Professeur de Philosophie certifiée, Formatrice de Professeurs, retraitée de l’Université.


Pourquoi les intellectuels se révèlent-ils "parmi les pires promoteurs du totalitarisme tout en se drapant dans des poses de pourfendeurs acharnés de celui-ci?"


C'est ce que tente de décrypter ici Nadia Lamm, en faisant référence aux travaux d'Ariane Bilheran sur la paranoïa et sur le totalitarisme.


Hommage à la Catalogne


L’intellectuel: de la vocation au métier

 

«Intellectuel»: rappelons que ce terme fut forgé par Émile Zola au cours de l’Affaire Dreyfus pour désigner les défenseurs persévérants de l’innocent Capitaine face aux puissants, qui préféraient la «raison d’Etat» à la vérité pure et simple. Dans ce cadre, est un intellectuel celui qui défend la vérité coûte que coûte, sans se laisser piéger par des considérations d’utilité personnelle (réputation, carrière…), sociologique ou politique.

 

 Dans un précédent article, j’évoquais l’intellectuel de métier et son aveuglement endémique face au totalitarisme. Je voudrais compléter mon propos par la mention des principales techniques de désamorçage du principe de réalité utilisées par les intellectuels - donc ceux qui sont censés être rémunérés par les sociétés démocratiques pour prémunir celles-ci contre les rechutes totalitaires... Mais - ô rage, ô désespoir! - les intellectuels s’avèrent être parmi les pires promoteurs du totalitarisme tout en se drapant dans des poses de pourfendeurs acharnés de celui-ci. En médecine sociale comme en médecine tout court, la prophylaxie étant toujours préférable aux soins proprement dits, nous avons voulu faire une recension des techniques d’évitement du réel couramment employées par nos amis intellectuels dans le contexte actuel pour aider le lecteur à ne pas se laisser piéger.

 

Une liste non exhaustive des stratégies de fuite de leur vocation par les intellectuels appointés.

 

 Parmi les principales techniques de fuite de leur responsabilité utilisées par les intellectuels, on peut observer aujourd’hui les suivantes:

 

  • Faire silence. Le silence de «bon aloi» entre gens bien élevés. On ne parle pas de corde dans la maison d’un pendu!


  • Faire du bruit. L’idéologie: continuer à parler des luttes de classes, des salaires en baisse et de la «nécessité de faire barrage au fascisme et à l’antisémitisme» de façon compulsive, déconnectée des changements opérés par la caste financière et dûment annoncés par elle, de façon voilée mais aussi ouverte. Ou bien on disserte sur l’insécurité et l’immigration de masse; ou encore sur les deux en alternance cf BFMTV versus CNEWS. Ouf! La rhétorique des oppositions contrôlées, même usée jusqu’à la corde reste une musiquette entraînante pour les masses donc toujours bonne à prendre!


  • Occuper le terrain. L’organisation de colloques- monstre sur la psychologie politique - et notamment celle des génocideurs (!) tout en prenant pour un fait acquis que «c’était hier» et que l’enjeu actuel c’est de «préserver la démocratie» grâce au «travail de mémoire». Ou: comment parler d’abondance de l’éléphant pour mieux ne pas le voir au milieu du salon. Les universités bruissent, de ces manœuvres de diversion dans les années 2020 - 2030, années de démolition systématique de la civilisation humaine par le Great Reset transhumaniste et néo-totalitaire de Davos. Les intellectuels spécialistes de Hannah Arendt et du totalitarisme nazi se pressent à ces manifestations (1) dûment subventionnées car elles bétonnent avec entrain et efficacité la bonne conscience des étudiants issus des classes moyennes et supérieures, qui s’acquitteront ensuite, dès lors que les pouvoirs en place le leur demanderont, de la chasse aux sorcières du système - entendez les opposants à l’Agenda 2030. Nous voyons déjà sur les plateaux télé des émissions dites culturelles (Arte, France 5) ces enfants de bobos parisiens, lecteurs chevronnés du Monde et de Libé, promouvoir l’écologie punitive, le wokisme, le climatisme et l’hygiénisme avec des accents lyriques mais menaçants pour les éventuels réfractaires à la doxa du pouvoir. Ceux-ci n'ont qu'à bien se tenir !


  • Jargonner. Nous avons aussi les adeptes de Tesla et de l’énergie quantique qui, tels le Bourgeois gentilhomme de Molière, s’extasient sur l’énergie libre et s’enferment dans un charabia simili-scientifique pour mieux tenter de masquer leur propre désir de servitude volontaire. Technique d’éviction apparentée à la projection d’encre noire par la seiche qui veut se rendre invisible.

 

On aura reconnu ici les principaux mécanismes psychologiques étudiés par Ariane Bilheran dans ses livres sur le Harcèlement moral, la Psychopathologie de la paranoïa et la Psychopathologie du totalitarisme: le déni, le clivage de la conscience, l’accusation projective de sa propre haine sur des boucs émissaires, objets d’un lynchage individuel et collectif, notamment via les médias de propagande et les réseaux sociaux; le harcèlement ouvert et secret, l'inversion accusatoire. Elle insiste sur la responsabilité pénale des collaborateurs des décideurs en haut lieu des politiques totalitaires, en rappelant que l’intention - perverse - de nuire est consciente chez ces collaborateurs. Ajoutons une fascination très courante chez l’intellectuel pour les pouvoirs dits forts: lui-même n’étant pas aux manettes mais se sentant, par contre, capable de surplomber la société par des analyses d’ensemble, rêve de devenir le conseiller attitré des chefs politiques: ainsi de Platon qui voulait influencer le tyran Denys de Syracuse; d’Aristote idem auprès d’Alexandre ou, plus près de nous, de Hegel célébrant «la raison à cheval» en la personne de Napoléon à la bataille d’Iéna, ou encore de Heidegger applaudissant la venue d’Hitler au pouvoir en 1933… «Mein Irrtum» (mon erreur) confiera-t-il, bien plus tard, avec réticence … Aujourd'hui le professeur émérite des Universités et économiste, Louis Gill, critique décidé du néolibéralisme, syndicaliste, auteur de plusieurs livres sur la théorie économiste marxiste, l'économie internationale, l'économie du socialisme, le partenariat social et le néolibéralisme, ainsi que de nombreux articles de revues et de journaux sur des questions économiques, politiques, sociales et syndicales,  relève avec stupeur que leur critique légitime du néo-libéralisme entraîne de nombreux intellectuels à réhabiliter le stalinisme! (2) Étrange défaite de la pensée!  Hannah Arendt a relevé à juste raison que la pulsion tyrannique faisait des ravages chez les philosophes. Mais pas que. Jugeons-en plutôt.

 

Dans son étude psychosociologique sur les intellectuels collaborationistes enthousiastes du régime hitlérien, Croire et détruire. Les intellectuels dans la machine de guerre SS (3) l’historien Christian Ingrao cite les catégories de professeurs d'université ayant sombré dans un nazisme enthousiaste: des Docteurs en Droit, des professeurs d'Histoire, d'Archéologie, de Médecine, de Littérature, de Langues anciennes, de Biologie, de Philosophie…etc. Bref, aucune discipline n'y échappe! En périodes de montée du totalitarisme les intellectuels, leaders d’opinion, sont de redoutables faussaires et, le plus souvent, les derniers à prendre au sérieux! Leur sophistique redoutable a causé la mort de Socrate et de tant d’autres : pensez à Althusser étranglant sa femme, car incapable autrement de liquider le rôle de Surmoi persécuteur qu’elle était devenue pour – ou plutôt contre- lui. Mais aussi au terrorisme intellectuel sévissant chez des Robespierre, des Marat ou encore chez les intellectuels organiques du bolchevisme et du maoïsme. Sans leur appel à l'hallali contre les dissidents réels et supposés, quels auraient été les résultats chiffrés des génocides auxquels aboutissent toujours les régimes totalitaires? Cette étude vertigineuse reste à entreprendre…

 

Dernièrement nous avons observé les scientifiques-faussaires de la prestigieuse revue médicale le Lancet truquer les résultats d'une étude sur les effets de l'hydroxychloroquine et les médecins de plateaux télé invitant à se faire vacciner «non seulement pour soi mais aussi pour les autres»! Ce qui opère un changement du paradigme vaccinal spectaculaire, on en conviendra !   

 

Enfin, last but not least, nous avons les experts des effets déconnectés des causes qui dissertent à perte de vue sur la destruction de la planète et le Déluge à venir, la 3ème guerre mondiale, les effets dévastateurs des nouveaux vaccins et tout ce qu’on voudra, l’essentiel étant de distraire l’attention du public des véritables responsables des méfaits constatés  et des enjeux de ces méfaits. La question ne sera jamais posée par ces faux lanceurs d’alerte au ton jovial de bons apôtres, qui cherchent à nous enrôler de façon paternaliste mais qui n’oublient jamais de donner un coup de griffe qu’ils espèrent bien mortel à ceux qui ne jouent pas le jeu de l’intellectuel subventionné…Ici encore, on n’aspire qu’à une chose: se rendre utile aux pouvoirs établis en anesthésiant le sens critique des masses.

 

Nous prions le lecteur qui a patienté jusqu’ici - ce dont nous le remercions - de compléter par lui-même cette galerie de portraits à la La Bruyère pour nous éviter le collapsus des gens de bon sens face aux «courage fuyons!» de nos intellectuels de salon à la solde des puissants du jour... (4)

 

Pendant ce temps, les vrais intellectuels, qui persistent à ne pas embrasser la paranoïa des chefs politiques mais  se rendent disponibles à la recherche de la vérité - ils se comptent sur les doigts de la main - trahis par leurs pairs et invisibilisés - quand ils ne sont pas lâchement calomniés et diffamés - doivent ne compter que sur eux-mêmes et sur de rares amis qui préfèrent sauver leur âme plutôt que manger dans la main des bourreaux. Tels des Pénélope au grand cœur, ils s’emploient à retisser les liens cognitifs, spirituels et humains tout court que les fils ingrats du peuple, ces clercs-traîtres dont parlait si bien Julien Benda - saccagent jour après jour de manière concertée et méthodique. Le propre de ces héros du quotidien est le fait d'œuvrer en silence et, sans se connaître les uns les autres, de contribuer, sans même s'en douter, génération après génération, à la préservation du monde, tels les 36 Justes d'une ancienne légende à demi oubliée…

 

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Notes

 


2. Gill L. (2012) Sur Georges Orwell. De la guerre civile espagnole à 1984. éd. Lux.

Dans le texte de présentation de son livre, Louis Gill écrit: "Hommage à la Catalogne [d'Orwell] m'a beaucoup impressionné par l'analyse politique de la guerre civile espagnole qu'Orwell y présente et par la description qu'il y fait de sa brutale découverte de la terreur stalinienne au cœur de cette guerre civile. En refermant le livre, je n'ai pu résister à l'envie d'écrire là-dessus et de montrer que les célèbres romans que sont La Ferme des animaux et 1984 puisent leur origine dans cette expérience de la guerre civile espagnole, dont Orwell a dit qu'elle a été la plus importante de sa vie et qu'elle en a par la suite influencé tout le parcours.


"Chaque ligne de travail sérieux depuis lors, a-t-il [Orwell] dit à la fin de sa vie, a été écrite, directement ou indirectement, contre le totalitarisme et en faveur du socialisme démocratique…dont le véritable objectif est la fraternité humaine."

"Il va sans dire, poursuit L. Gill, que mon but en écrivant ce livre était non seulement […] de rendre hommage à Orwell pour son indéfectible combat en faveur des droits et  libertés et du socialisme, mais aussi de rappeler que les questions politiques qui sont au cœur de l'expérience vécue par Orwell et de ses écrits sont toujours d'une brûlante actualité. On dit souvent avec raison qu'il faut tout faire pour que ne soient jamais oubliées les horreurs du nazisme. Il est tout aussi important de ne jamais oublier les horreurs de cette autre variante du totalitarisme qu'est le stalinisme. Et cela d'autant plus à un moment où, devant la faillite et les ravages sociaux du néolibéralisme, on voit dramatiquement ressurgir dans les pays d'Europe de l'Est et de l'ex-Union soviétique un engouement pour Staline et une nostalgie du passé totalitaire."

Les années 2020 voient cette attirance pour le stalinisme se propager également dans les pays occidentaux chez de soi-disant dissidents intellectuels de la politique du Great Reset… Soljenitsyne doit se retourner dans sa tombe…Il faut lire ou relire Le Déclin du courage, mais aussi L'Archipel du Goulag, plus que jamais d'actualité…


3. Ingrao C. (2010), éd. Fayard.


4. Pour ceux qui voudraient approfondir la question de la psychologie des intellectuels en contexte totalitaire, nous rappellerons ces propos désabusés de Freud, dans ses Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort parues en 1915, au début donc de la première guerre mondiale. Il décrit la frénésie de haine et de partialité qui s'est emparée de nos "concitoyens du monde", soit les peuples d'une Europe parvenue à un haut degré de civilisation et de culture.


Il écrit, notamment:

"Nous avons constaté chez nos concitoyens du monde un […] symptôme qui ne nous a pas moins surpris et effrayé que la baisse, si douloureuse pour nous, de leur niveau moral. Je fais allusion à leur manque d'intelligence, à leur stupide obstination, à leur inaccessibilité aux arguments les plus convaincants, à la crédulité enfantine avec laquelle ils acceptent les affirmations les plus discutables. […] Les philosophes et les connaisseurs d'hommes nous ont dit depuis longtemps que nous avions tort de considérer notre intelligence comme une force indépendante et de ne pas tenir compte de sa subordination à la vie affective. Notre intellect ne peut travailler efficacement que pour autant qu'il est soustrait à des influences affectives trop intenses; dans le cas contraire, il se comporte tout simplement comme un instrument au service d'une volonté et il produit le résultat que celle-ci lui inculque. Les arguments logiques ne peuvent donc rien contre les intérêts affectifs et c'est pourquoi la lutte à coup de raisons est si stérile dans le monde des intérêts. L'expérience psychanalytique ne fait que confirmer cette vérité. Elle a journellement l'occasion de constater que les hommes les plus intelligents perdent subitement toute faculté de comprendre et se comportent comme des imbéciles, dès que les idées qu'on leur présente se heurtent chez eux à une résistance affective […]"

Freud, S. Considérations… Traduction S. Jankelevitch, A. Bourguignon, et alii, Paris, Payot, 1927, 1981, 1988, et en ligne. Resterait à expliquer pourquoi certains intellectuels, beaucoup plus rares, trouvent mieux leur compte dans la défense de la vérité; le texte de Freud évoque la rareté, parmi les hommes, d'un développement moral abouti et l'hypocrisie tenant lieu, le plus souvent, d'un altruisme vrai…

 

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