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L'homme de masse

  • 19 juin
  • 5 min de lecture

Article de Nadia Lamm, Professeur de Philosophie certifiée, Formatrice de Professeurs, retraitée de l’Université.


Dans cet article, Nadia Lamm tente de discerner les traits de "non-personnalité" de ce qu'elle appelle "l'homme de masse", celui sur lequel tout pouvoir totalitaire s'appuie pour renforcer son ascendance et son ambition.


Lion Feuchtwanger

Il est important de discerner les traits de personnalité ou plutôt de non-personnalité de ce que l’on appelle l’homme de la masse.


En effet, c’est du comportement de celui-ci que nous dépendrons de plus en plus au fur et à mesure que l’ingénierie sociale du totalitarisme numérique étendra son empire et son emprise sur nos sociétés postmodernes.


Chacun a dans son entourage pléthore de ces hommes de la masse dont l’originalité si on ose dire! est le conformisme.


On se doit de détecter ce qui motive c’est-à-dire fait mouvoir ces êtres massifiés pour anticiper non seulement les conséquences de leur absence de caractère sur nos vies mais également les avancées de nos décisionnaires en matière de spoliations de nos droits naturels les plus élémentaires.


L’homme massifié est instinctivement suiveur et suiveur fanatique de tout ce qui montre biceps, c’est-à-dire force brute qui ne s’encombre pas de principes sauf le «pousse-toi-de-la-que-je-m’y-mette».


C’est un immature pulsionnel flatté de pouvoir s’agréger avec ses semblables pour dézinguer toute autorité liée à l’élaboration symbolique des pulsions primaires, élaboration à laquelle il n’a pas accès et qu’il se sent humilié d’avoir à subir du fait de l’ordre social et institutionnel qui protège en temps normal les individus des débordements pulsionnels des moins structurés d’entre eux.


L’homme de la masse a une revanche à prendre sur la frustration de ses pulsions primaires par l’ordre social. Il entend le faire savoir et y mettre toute son énergie dès lors que l’Etat promulgue le désordre totalitaire, soit la perversion des institutions symboliques et notamment politiques.


La première et la plus importante des perversions est bien entendu celle du langage qui prélude et accompagne la deconstruction des institutions désormais dévolues au génocide et à la brutalisation des populations civiles sous des prétextes plus ou moins fallacieux et toujours arbitraires. Sans cette dénaturation liminaire du langage le génocide aurait été impossible et nous devons savoir gré à Orwell et à Viktor Klemperer de nous l’avoir fait comprendre.


Or c’est ici qu’entre en scène de façon caractérisée l’action dissolvante de l’homme de la masse. Pour lui le langage n’est pas gage de vérité ou a minima de logique. Il n’a de valeur que performative ou utilitaire à l’instant T.


Dans ses interactions sociales l’homme de la masse - qui peut, par ailleurs être un universitaire chevronné - utilise le langage comme un simple outil au service de ses passions du jour. Ainsi dans Les Enfants Oppermann (1963 et 2025 pour la traduction française édition Metailie), le romancier juif allemand Lion Feuchtwanger met en scène un professeur de Lettres fasciné par Hitler qui reconnaît le mauvais allemand dont use celui-ci dans Mein Kampf et qui se met à corriger les fautes de vocabulaire et de grammaire de cet écrit pour lui permettre d’atteindre les couches cultivées de la population.


Ce professeur a besoin de prendre une revanche sur le régime symbolique du langage et de la société toute entière pour une raison que l’auteur ne nous explique pas (absence de génie personnel? De capacité à se faire aimer des femmes? On ne nous le dit pas) et cela le détourne de regarder en face les sophismes et la violence qui forment la teneur du propos de Hitler.


Il adhère et cela lui suffit. Il utilise la pensée pour noyer la pensée et pour lui substituer une rage froide et incompressible, libération d’une énergie trop longtemps comprimée et qui trouve enfin un exutoire. Il se déleste du Surmoi social et donne libre cours à son ressentiment qu’il considère comme juste, d’autant plus qu’il est partagé par des millions qui aboient et accusent dans le même sens. Non pas celui des responsables précis de leur mal-être économique social politique ou encore moral. Mais celui des responsables quintessentiels du Mal: les Juifs.


Ce recours à l’essentialisation d’une catégorie de la population signe l’immaturité pulsionnelle. Et ici tout est bon pour accabler et tuer au moins, dans un premier temps, symboliquement: la présumée race; la présumée infection; la présumée nocivité collective, qui renvoie en négatif à l’essentialisation positive de la catégorie à laquelle on appartient soi-même, celle des Vengeurs indignés. Le tout se ramenant à une tautologie: eux ce n’est pas nous. Tout est dit, pas besoin d’arguments car ici on performe, on tue par les mots et il n’est pas question d’entrer en débat avec ceux qu’on tue.


«Hier ist kein warum»: ici il n’y a pas de pourquoi - dit le kapo nazi à Primo Levi dans Si c’est un homme.

La première précaution pour ceux qui ont à faire aux hommes de la masse c’est donc de discerner en eux la puissance du ressentiment en réfléchissant aux ratages intimes qu’ils cherchent à venger et à la fonction cathartique d’un langage de barbares dès lors que la perversion institutionnalisée l’encourage.


C’est pourquoi il faut faire attention à ne pas renforcer ce ressentiment par une attitude méprisante et moralisatrice à contretemps. Ni offrir sa soumission qui décuplera le sentiment de toute-puissance chez le barbare. Il s’agit de se montrer assertif c’est-à-dire de faire savoir qu’on reconnaît ses propres besoins et qu’on entend les respecter, ceci indépendamment des desiderata du désordre établi et de ses non-lois.


Si vous aimez la vérité je vous incite à suspendre votre jugement sur les autres êtres humains chaque fois que vous interagissez avec eux et à observer leur usage du langage: est-il à visée de connaissance ou seulement performatif?


Ces dernières années n’avez-vous pas entendu avec surprise maintes relations, amis et membres de vos familles vous dire:

«Ce que tu m’expliques là est trop angoissant pour moi: je préfère penser autrement»?

C’est-à-dire que, face à vos sources et à votre logique imparables sur l’origine et les effets de la covidocratie, certains, fussent-il des scientifiques, des professeurs, des médecins, etc. préféraient ouvertement leur confort intellectuel, acquis il est vrai à vil prix celui du sacrifice de leur intelligence à la vérité??


On pourrait ici parler d’utilitarisme cognitif, pour désigner un investissement purement instrumental du langage et de la pensée, ce qui est vrai n’étant admis que s’il peut en même temps servir les intérêts matériels (avancement professionnel, réseau social, notoriété…) de l’individu.


Combien de fois ai-je entendu cela de la part d’intellectuels, là où de simples ouvriers et femmes de ménage, plus aguerris par la vie et leur condition sociale, ne se laissaient pas aller à un tel amollissement? Oui c’est tellement sidérant qu’on a tendance à refouler cette constatation que nombre de gens de l’élite cultivée sont moins attachés à la vérité que des gens du peuple sans prétention, mais encore dotés de force de caractère.


Observez bien comment les gens du syndicat jaune dont Ariane Bilheran a si bien parlé, ou les gens du mensonge à eux-mêmes trafiquent les demi-vérités qu’ils acceptent de propager: d’abord ils se font accroire qu’ils sont exigeants en matière de vérité mais se gardent de toucher aux pouvoirs établis ou de remonter aux causes des dégâts qu’ils constatent.


Ensuite ils n’abordent que les sujets agités par les médias main stream mais jamais au-delà.


Enfin ils se ferment comme des huîtres dès que vous évoquez des faits qui dérangent le conformisme intellectuel de leur cercle social. Ce sont des homoncules qui se croient subversifs mais sans en payer le prix en termes de recherches approfondies sur tous les sujets qu’ils touchent. L’homme de la masse ce n’est pas l’homme du peuple; c’est celui qui accède à la demande du prince de se castrer intellectuellement. Et qui en est fier. Quant à vous qui venez oser interroger ce motif de fierté, prenez garde à vous car vous touchez ici à une vache sacrée!


Un proverbe arabe dit:

«Celui qui aime dire la vérité doit avoir un cheval pour fuir.»

Ce proverbe dit vrai.


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