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Des mécanismes de défense au sein d'un collectif de travail en situation de harcèlement

Dernière mise à jour : 28 juil. 2020

15 juin 2015


La question des mécanismes de défense est essentielle pour comprendre comment des situations s’aggravent et dégénèrent au sein d’un collectif humain, et notamment en situation de travail.

Lorsqu’une situation de harcèlement s’instaure dans un environnement donné, les mécanismes de défense à l’œuvre sont bien spécifiques, et c’est à ce petit tour d’horizon que nous convions le lecteur.


Les mécanismes de défense : définition

« Les mécanismes de défense sont des processus psychiques inconscients visant à réduire ou à annuler les effets désagréables des dangers réels ou imaginaires, en remaniant les réalités interne et/ou externe et dont les manifestations – comportement, idées ou affects – peuvent être inconscients ou conscients. »[1]


Ainsi, les mécanismes de défense sont des processus psychiques, non maîtrisés par l’individu, et dont la fonction est de gérer les représentations intolérables.

En clair, si une réalité est insupportable à appréhender pour vous, notamment si elle occasionne trop de souffrance, votre psychisme va s’en défendre.

De plus, en psychopathologie institutionnelle, ces mécanismes agissent par effet de contamination dans le collectif.


Cela signifie que :

  • Chaque salarié de l’entreprise se protège psychiquement comme il peut contre les dangers (réels ou imaginaires) dont il a le sentiment d’être victime

  • L’entreprise elle-même peut être dans un mécanisme de protection en miroir ou en réaction à ce qui est mis en place dans les collaborateurs.

  • Individuel et collectif sont entremêlés et présentent parfois des mécanismes qui ne peuvent se comprendre que dans une double analyse.


Harcèlement et paranoïa


J’ai pu l’étudier tout au long de mes travaux antérieurs, la paranoïa est la pathologie maîtresse du harcèlement.


Rappelons en préambule, comme je l’ai déjà détaillé à maintes reprises, que le harcèlement est d’une nature complexe, et ne saurait se réduire à de la violence, ou de la maltraitance [2].


« Car le harcèlement implique des logiques de pouvoir et de groupe qui relèvent du totalitarisme : totalitarisme de la pensée où le sujet est éradiqué dans sa conscience morale et sa liberté, totalitarisme de l’action instrumentalisée, totalitarisme de l’interchangeabilité humaine, de la délation, du contrôle absolu ». [3]

« […] le harcèlement vise la destruction progressive d’un individu ou d’un groupe par un autre individu ou un groupe, au moyen de pressions réitérées destinées à obtenir de force de l’individu quelque chose contre son gré et, ce faisant, à susciter et entretenir chez l’individu un état de terreur. » [4]

Le harcèlement est l’instrument du pouvoir qui n’est pas légitime [5], et doit donc, pour conduire à l’obéissance, s’imposer par la force et la violence, la suppression du lien social.

Les processus psychologiques qui le constituent entraînent la soumission, pour obtenir l’aliénation ou la destruction.


Pour ce faire, la psychose paranoïaque en est la pathologie maîtresse, car il s’agit d’étendre la suprématie du contrôle sur tous, et rien de tel que la terreur pour figer les individus et les soumettre.

De plus, la paranoïa est la pathologie du pouvoir abusif, contraignant.


Dès lors, le collectif s’organise de façon pathologique dans une psychose paranoïaque, et traverse des processus psychiques de type délirant et paranoïaque : persécution, emprise, instrumentalisation, corruptions, complots, idéaux pseudo-opérants (la vérité, la justice etc., mais dont le sens est systématiquement dévoyé).


Un phénomène totalitaire


Pour le dire brièvement, le harcèlement est un processus appelant à la haine de l’autre et à la brisure du lien social. Le groupe s’en remet au harceleur pour qualifier ce qui est bien et ce qui est mal.

Car le groupe, puisqu’il tolère l’existence du harcèlement, s’inscrit dans une logique de soumission et d’asservissement.


Le phénomène harceleur est bien totalitaire, et j’ai trouvé, maintes fois, dans les réflexions d’Hannah Arendt sur les systèmes totalitaires [6], de quoi expliquer les situations de harcèlement rencontrées dans les entreprises.


Dans le harcèlement, tout le monde surveille tout le monde, et l’arbitraire sévit massivement.

La perversion, qui est un outil de la psychose paranoïaque pour instrumentaliser autrui au service d’un pouvoir abusif, est utilisée pour renverser les valeurs, manier l’injonction paradoxale, désigner comme victime le coupable, et coupable la victime.


La délation


La délation est encouragée, illustrant la faillite de la conscience morale et du courage.

Souvenons-nous des propos d’Hannah Arendt en 1951, qui décrivent parfaitement des situations rencontrées dans les situations de travail : « dès qu’un homme est accusé, ses anciens amis se transforment immédiatement en ses ennemis les plus acharnés ; afin de sauver leur propre existence, ils se font mouchards et se hâtent de corroborer par leurs dénonciations les preuves qui n’existent pas contre lui ; tel est évidemment leur seul moyen de prouver qu’ils sont dignes de confiance »[7].

« Ce processus se retrouve à l’identique dans les collectifs de travail où sévit du harcèlement, et il n’est pas rare de voir d’anciens amis signer des pétitions contre le harcelé, sur ordre plus ou moins explicite du harceleur.


La transmission de charges traumatiques dans le collectif de travail


L’un des outils très efficace du harcèlement dans des situations de travail est la transmission de charges traumatiques dans le collectif.

Il s’agit de créer des événements « chocs », qui visent à atteindre émotionnellement les salariés.


Ce peut être des discours très violents, où l’on dira « celui qui n’est pas d’accord prend la porte », ce peut être des mises en scène, par exemple l’affichage de noms de salariés qui sont en désaccord avec tel ou tel point de la politique mise en œuvre, ce peut être des mises au placard, des humiliations collectives etc.


Ces charges traumatiques, selon leur durée, leur intensité et leur chronicité, aboutissent à une contamination des processus destructeurs à l’œuvre, se transformant en auto-agressivité (ex. tentatives de suicide) ou hétéro-agressivité.