Chef-d’œuvre de la paranoïa, le harcèlement
Décembre 2019
Article paru dans Santé mentale n° 243, décembre 2019.
Non seulement le harcèlement est le chef-d’œuvre du paranoïaque, mais la contagion délirante agissant sous son impulsion dégrade la santé mentale de tous les membres du groupe harceleur.
Le harcèlement est un phénomène politique lié à l’histoire de l’humanité. Il « vise la destruction progressive d’un individu ou d’un groupe par un autre individu ou un groupe, au moyen de pressions réitérées destinées à obtenir de force de l’individu quelque chose contre son gré et, ce faisant, à susciter et entretenir chez l’individu un état de terreur ». (Bilheran, 2006).
Mode d’expression de l’abus de pouvoir, de l’autoritarisme, de la tyrannie, il s’oppose à l’autorité comme le pouvoir injuste s’oppose au pouvoir juste. Il est la méthode parfaite d’asservissement utilisée par les paranoïaques dont je dis souvent qu’il est le "chef-d’œuvre".
Comment s’articulent paranoïa et harcèlement ? Pour répondre à cette question, dans un premier temps, je rappellerai ce qu’est le harcèlement, sa définition précise et les conditions nécessaires à sa mise en œuvre. Puis je démontrerai en quoi le profil paranoïaque est par nature harceleur,avant d’étudier son rôle dans la scène pathologique déployée par le collectif harceleur.
Harceler : de quoi parle-t-on ?
L’étymologie de harceler provient de « harseler/herseler » en ancien français, terme diminutif de « herser », utiliser la « herse ». Dans le domaine agricole, la herse est un outil muni de piques courtes et proches les unes des autres pour travailler la terre en surface en vue d’un semis. Sur le plan militaire, la herse est une grille en fer coulissante, armée de pointes à sa partie inférieure, que l’on abaisse pour interdire l’accès à un château fort. Du point de vue des attaquants, « herseler » est soumettre la herse à des assauts réitérés. Par analogie, le terme signifie tourmenter sans cesse par de petites mais fréquentes attaques. Sur le plan militaire, il convoque l’idée d’assiéger constamment, sans laisser de répit. Quant au registre agricole, il s’agit, par un geste répétitif d’égalisation, de couper tout ce qui dépasse (pratique connue de certains tyrans dans l’Antiquité, tel Denys de Syracuse, qui usait de cette métaphore pour décrire son action politique). L’analogie liée à cette métaphore peut s’étendre au niveau groupal : harceler, c’est couper tout ce qui dépasse du groupe (1).
En aucun cas, le harcèlement ne saurait être réduit à des maltraitances, des incivilités ou d’autres formes de violences non intentionnelles.
On repère plusieurs caractéristiques :
– Un procédé totalitaire. Le harcèlement implique des logiques de pouvoir et de groupe qui relèvent du totalitarisme : de la pensée où le sujet est éradiqué dans sa conscience morale et sa liberté ; de l’action instrumentalisée ; de l’interchangeabilité humaine, de la délation, du contrôle absolu. Le harcèlement est l’instrument du pouvoir qui n’est pas légitime et doit donc, pour conduire à l’obéissance, s’imposer par la force et la violence, la suppression du lien social, la surveillance de tous contre tous. Dans le harcèlement, il y a un harceleur et un harcelé. La relation est asymétrique, l’un est coupable, l’autre victime. Dans les violences psychologiques « simples », ce n’est pas forcément le cas.
– L’intention de nuire et l’introjection. A minima le harcèlement se distingue par l’intention de nuire (présentée comme une « légitime défense ») et la charge traumatique qu’il inflige. Or, la charge traumatique implique la notion d’introjection. C’est dans l’introjection que réside, à proprement parler, le processus mortifère : il s’agit d’intérioriser la violence subie, de la retourner contre soi, d’assumer à la place de l’agresseur le sentiment de culpabilité et de honte. L’introjection de la culpabilité et de la honte est l’outil suprême du h